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Au procès de militants du suicide assisté, la leçon de philosophie de Comte-Sponville
information fournie par AFP 30/09/2025 à 18:09

Le philosophe français André Comte-Sponville à Paris, le 17 mars 2019 ( AFP / JOEL SAGET )

Le philosophe français André Comte-Sponville à Paris, le 17 mars 2019 ( AFP / JOEL SAGET )

Au procès à Paris de douze militants de l'aide à mourir, l'intellectuel André Comte-Sponville a livré mardi un plaidoyer philosophique pour le suicide assisté dont la "possibilité" offrirait la "liberté de vivre", une idée qui traverse l'histoire de la pensée, d'Épictète à Montaigne.

Âgés de 74 à 89 ans, douze adhérents de l'association Ultime Liberté sont jugés pour avoir, entre août 2018 et novembre 2020, aidé des dizaines de personnes à acheter sur internet du pentobarbital, un barbiturique entraînant une mort rapide et sans douleur.

Ces retraités ne sont poursuivis que pour des délits liés au trafic de substances illicites, non pour incitation ou aide au suicide.

Dernier témoin appelé à la barre par la défense, après dix jours de débats, le philosophe André Comte-Sponville, 73 ans, explique d'emblée se battre "depuis des décennies" pour la légalisation du suicide assisté car "j'aime la vie et la liberté", dit-il.

"Montaigne écrivait dans ses +Essais+: +Le plus beau cadeau que la nature nous ait fait est de nous laisser la clé des champs.+ La clé des champs, c'est-à-dire le droit de s'en aller, de mourir", poursuit M. Comte-Sponville, qui a titré l'un de ses derniers livres d'après cette expression.

"C'est parce que je deviens maître de ma mort que je deviens maître de ma vie", disserte-t-il. "Nous n'avons pas choisi de naître. Nous sommes libres de vivre par la possibilité du suicide. La possibilité du suicide jette sur notre vie une lumière de liberté."

Flottant dans une veste de velours beige renforcée aux coudes, écharpe bleue autour du cou, l'intellectuel trouve dans cette idée une continuité philosophique.

"La mort volontaire fait partie des droits de l'Homme. C'est d'ailleurs un thème très ancien, très traditionnel dans l'histoire de la pensée. La quasi-totalité des philosophes antiques pensait qu'on avait le droit de mettre volontairement fin à ses jours. Le plus réticent d'entre eux, c'est Platon, notamment pour des raisons religieuses", explique-t-il.

- "Mort à deux vitesses" -

Ce point réussit même à réconcilier les irréconciliables épicuriens et stoïciens, note le philosophe. "Ces deux écoles ne sont d'accord sur rien, sauf sur un point: le suicide. Elles disent qu'il est absurde d'être contre le suicide. La mort volontaire n'est pas une question de principe mais d'opportunité."

Si le suicide en tant que tel n'est pas un délit en France, la loi rend difficile la possibilité d'un suicide "serein" et non violent, comme le revendiquent les militants d'Ultime Liberté.

M. Comte-Sponville cite ainsi les cas du romancier Romain Gary, qui s'est tiré une balle dans la tête à 66 ans, ou du philosophe Gilles Deleuze, qui s'est jeté par la fenêtre de son appartement à 70 ans pour mettre fin à la souffrance que lui causait une insuffisance respiratoire aiguë.

La législation française actuelle, qui interdit l'euthanasie, "crée une mort à deux vitesses : les uns partant en Suisse mourir confortablement et librement parce qu'ils ont les moyens de le faire, pendant que d'autres vont mourir et croupir misérablement pendant des mois dans leur Ehpad", regrette l'auteur de "L'opportunité de vivre".

À l'instar des témoins appelés avant lui, le penseur estime que le texte sur l'aide à mourir, voté en première lecture en mai par l'Assemblée nationale et qui attend désormais d'être examiné par le Sénat, représente un "considérable progrès" bien qu'encore insuffisant, en ne prenant pas en compte des cas comme les malades d'Alzheimer.

Cette proposition de loi du député MoDem Olivier Falorni créerait un "droit à l'aide à mourir" en France. Elle légaliserait le suicide assisté et, de manière exceptionnelle, l'euthanasie, sans pour autant que ces mots jugés connotés négativement ne figurent dans le texte.

"On a réussi à légaliser l'avortement, qui est un problème moral beaucoup plus compliqué que l'euthanasie. C'est très étonnant, relève André Comte-Sponville. Je pense que les femmes se sont mieux battues que les vieillards."

Le réquisitoire est attendu jeudi. Le procès doit s'achever vendredi.

4 commentaires

  • 30 septembre 19:57

    Une perversion mise en scène dans le film Ich klage an (« j’accuse »), projeté au cinéma en août 1941, qui dépeint le procès d’un mari ayant héroïquement « délivré » son épouse souffrant d’une sclérose en plaques. Ce bijou de propagande enregistre plus de 18 millions d’entrées. ... Johann Chapoutot. J’ai un souvenir très net du malaise qui m’habitait après l’avoir visionné : il se révèle redoutablement efficace et convaincant. »


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